Après quelques jours à profiter de Luang Prabang, il est temps de partir. Nous embarquons pour une « croisière » de deux jours sur le Mékong à destination de la Thaïlande. D’ailleurs, nous écrivons une partie de cet article sur le bateau, assis sur des banquettes de voitures récupérées. En levant les yeux de notre ordinateur, nous voyons l’eau brunâtre du fleuve. Puis, sur les berges, de véritables plages de sable en strates témoignant des différentes hauteurs d’eau selon la saison. Elles sont bien apparentes puisque c’est actuellement la saison sèche. Quelques vaches évoluent sur ces bancs de sable. Au dessus, une jungle dense recouvre des reliefs où de rares habitations témoignent d’une présence humaine. De temps à autre, le cadavre d’une vache ou d’un porc flottant au gré du courant vient rompre la monotonie de ce paysage.
Nous arrivons à la frontière thaïlandaise en fin de journée et devons absolument la franchir car c’est le dernier jour de validité de nos visas laotiens. Le poste-frontière est immense et fait plus penser à un temple qu’à un édifice officiel. Un pont sur le Mékong fait office de no man’s land entre les deux États. Nous nous dépêchons car nous ne savons pas où nous allons dormir ce soir et la nuit est déjà tombée. D’autant plus que rouler à gauche, de nuit, dans un pays qui nous est inconnu ne nous enchante guère. Le garde-frontière laotien, corrompu par définition, nous soustrait les quelques dollars habituels en invoquant l’heure tardive. Puis, nous devons encore payer un bus qui doit nous faire traverser le pont car les déplacements à vélo ou à pied sont interdits. Le chauffeur du car ouvre les portes de la soute et nous fait comprendre que les deux vélos, la remorque et nos huit sacoches doivent y entrer. Tout ça juste pour traverser le pont. Nous lui faisons à notre tour comprendre qu’on n'a aucune envie de tout charger dans son bus. Il se rend compte de l’absurdité du règlement et nous indique que nous devons le suivre. C’est bien la première fois que nous avons un car vide comme escorte et c’est surtout la première fois que nous payons un ticket de transport pour le suivre à vélo ! Evidemment, le terme remboursement n’existe pas dans leur vocabulaire. De l’autre côté du pont, les deux pistes se croisent et nous devrons désormais rouler à gauche. Au poste-frontière thaïlandais, à notre grand désespoir, le guichet délivrant les visas est fermé. Nous nous avançons alors au bureau suivant et la fonctionnaire nous apprend, pour notre plus grand bonheur, que le passeport suisse ne nécessite pas de visa.
Nous roulons quelques kilomètres dans la nuit jusqu’à trouver un hôtel. Epuisés par cette longue journée (9 heures de bateau, 25 kilomètres de vélo et le passage d’une frontière), nous nous installons dans une chambre au bord du fleuve. Le subconscient de Dominique, pour une raison obscure, décide d’enclencher le ventilateur du plafond alors que les températures sont fraîches. Ensuite, pressé de prendre une douche, il retire son tee-shirt en levant bien les bras en hauteur. Lorsque les pales métalliques tournant à toute vitesse heurtent sa main, il se rappelle soudain qu’un ventilateur est en fonction au-dessus de sa tête. Croyant d’abord à tort avoir perdu quelques doigts, la douleur l’oblige à s’étendre sur le lit. Résultat : le pouce a doublé de volume et est en train de virer au bleu, tandis que les autres doigts, en partie ensanglantés, peinent à bouger.
Le lendemain, Dominique doit apprendre, malgré lui, à manier sa bicyclette de sa seule main valide.